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   Les Tribulations de                  Pierrette Bourge
3 février 2013

La Fille qui faisait mal aux yeux

Un texte plutôt marrant mais un peu lourdingue que j'ai retrouvé dans un fond de tiroir. De quand date-t-il? Je n'en sais absolument rien. Mais j'y ai repensé en vous parlant de la Princesse au Petit Pois, hier.

 

La Fille qui faisait mal aux yeux

 

Quand j’étais à l’école, j’ai eu une amoureuse

J’aime bien dire « j’ai eu une amoureuse » alors que c’est moi qui l’étais, amoureuse

Je voulais toujours m’asseoir avec elle, je la collais, elle aimait bien, je crois, du moins elle disait rien.

Elle utilisait des mots de grand, genre « la maîtresse me casse les couilles », ça m’avait toujours épaté.

Moi j’osais à peine dire « crotte » mais elle, elle y allait fort quand même. En plus, elle avait peur de rien. Elle en a recopié des lignes genre « je n’utiliserai pas de mots vulgaires que je ne comprends pas pour exprimer mes sentiments ». Faut dire que la maîtresse en question était licenciée en psycho avant de se reconvertir dans le concours des professeurs des écoles.

Bref, « mon amoureuse » qui l’était finalement vachement moins que moi, elle en avait sous le kilt (ouais, je suis pas si vieille que ça, mais quand même on portait des kilt à mon école. C’était à la mode, si si vous savez bien, juste avant les jupes-culottes…).

D’ailleurs, parlant de kilts, ça me rappelle qu’une fois, elle avait posé son épingle de kilt (oui oui, la grosse épingle à nourrice qui était censée empêcher que le vent ne s’engouffre entre les pans de la « jupe » et ne découvre nos maigrelettes guiboles, même qu’en fait, l’épingle elle servait juste à nous piquer les cuisses quand on oubliait de la raccrocher comme il faut… à se demander si le mauvais temps en Ecosse, c’est pas une légende urbaine…), donc elle a posé son épingle sur la chaise de l’instit’, elle était comme ça « mon amoureuse », une rebelle qui craint ni le froid, ni le vent.

Sauf qu’une épingle à nourrice, ça tient pas tout seul et donc, l’instit’ s’est juste assise dessus, a senti un ‘tit truc dur sous ses fesses de princesse au petit pois [vu les couches de capitons qu’elle avait sous les fesses, ça ne pouvait être qu’une princesse pour avoir le postérieur si sensible (pour les incultes ou ceux qui n’ont pas eu la chance de s’entendre raconter des histoires sans morale avant d’aller se coucher, se référer au conte d’Andersen intitulé « La Princesse au petit pois »)].

Son attentat revendicatif (je me rappelle plus trop s’il était question de revendication ou de basse vengeance, mais je ne voudrais pas qu’on croit que je serais tombée amoureuse d’une revancharde tout de même) est tombé à l’eau. La maîtresse a fait valsé l’objet révélateur de sa vraie nature (comme le balisto si vous vous rappelez bien) d’une pichenette nonchalante avant de se rendre compte qu’elle avait bien failli bousiller son collant. Je sais pas trop si c’est l’idée d’avoir pu se retrouver avec un collant filé toute une journée qui l’a énervé le plus, ou si c’est de se rendre compte qu’elle aurait pu être la risée d’une bande de sales gosses qui espéraient tous la voir bondir dans un atroce cri de douleur, mais en tous cas, elle s’est drôlement fâchée.

La classe de sadiques a regardé attentivement les gribouillages des pupitres pendant que l’instit’ gesticulait en tous sens avec force menaces pour savoir qui s’était permis cette tentative de meurtre (c’est peut-être plus les mots exacts, que voulez-vous, ma mémoire est capricieuse). Finalement, une sale intello du premier rang (une vraie, avec des lunettes et un vilain nez en trompette) a lâché le morceau (mais on lui a fait payé plus tard, je vous raconterai… ou pas) et a pointé son doigt accusateur sur « mon amoureuse ».

C’est à ce moment-là (enfin dans les minutes qui ont suivi) que j’ai eu ma première révélation linguistique (qui aurait d’ailleurs pu bouleverser mon orientation scolaire si mes parents n’y avaient pas mis bon ordre… Non mais, c’est vrai, vous m’imaginez en prof de linguistique ?!) : le mot « professeur » venait de « pro » et « fesseur », soit les gens qui fessent comme des pros, rapport sûrement aux châtiments corporels qui étaient autorisés à l’école avant que l’association Enfance Maltraitée ne se rende compte que les baffes ne faisaient pas progresser en orthographe (juste en linguistique en ce qui me concerne, mais ce n’est pas au programme du CE1), et que ça ne venait pas du tout du latin « profiteri : déclarer, enseigner » (qui, soit dit en passant, fait franchement plus penser à « profiteroles ») comme vous l’apprendrait n’importe quel Larousse.

« Mon amoureuse » a eu beau plaider que c’était pour sa collection d’insectes épinglés (pour ceux qui n’étaient pas en classe avec moi, l’instit’ en question s’appelait Mlle Papillon), la vieille punaise n’a pas été attendrie et l’a remise à sa place (après quelques tapes sur le derrière).

Oui, elle était comme ça « mon amoureuse ». Je la trouvais vraiment brillante, et pas que à cause de son super shampooing Timothée au miel (d’ailleurs, c’est de la publicité mensongère car je l’ai goûté, moi, le Timothée au miel, et bien, sur une palette de produits basiques que comportait toute salle de bains digne de ce nom dans les années 80, le Timothée au miel est bien le plus amer de tous, mais cela fera l’objet d’un autre sujet… ou pas).

Je la trouvais donc tellement brillante que je ne pouvais pas m’empêcher de le lui dire. Et d’ajouter, parce que j’avais entendu ça dans une discussion de grand et que ça avait fait sourire tout le monde (rendons à Marcel, le voisin, ce qui lui appartient [paix à son âme d’ailleurs le pauvre homme, je m’étais promis de lui rendre hommage une fois devenu grande, et bien c’est chose faite], j’ajoutai donc, après « t’es brillante », un tendre « t’es tellement brillante que tu fais mal aux yeux ».

Bon, Marcel est mort et moi je suis grande, je peux donc à présent reconnaître que c’était pas super super drôle (d’où le « ça avait fait sourire tout le monde » et non pas « la tablée avait été pétée de rire », vous saisirez la nuance [les incultes qui n’auraient pas saisi la nuance sont autorisés à quitter la salle, mais en silence, merci]). Á l’époque je trouvais ça classe. Notez qu’avec les années, mon idée du « classe/ pas classe » s’est affinée (ça ne fera pas l’objet d’un autre sujet, je veux pas me retrouver toute seule ici quand même).

 

Quand on a eu 11 ans et les seins qui commencent à pousser, c’est-à-dire après les poils (ma mère dit toujours « le meilleur pour la fin » et, même si ça m’arrache la langue, je dois bien dire que parfois elle a raison), « mon amoureuse » a commencé à devenir moins brillante. Du moins, j’ai commencé à avoir moins mal aux yeux (peut-être à cause de mes nouvelles lunettes aussi, je veux pas lui mettre toute la faute sur le dos).

Elle parlait tout le temps des « garçons » avec une mine mystérieuse qui me hérissait le poil (qui rappelons-le avait, à mon plus grand désespoir, commencé à couvrir de nombreuses parties de mon corps, et me rendait donc d’autant plus irritable).

Jusque là, les « garçons » n’avaient rien de plus intéressant que ça. Juste des trucs qui se bagarrent dans les couloirs de l’école et qi ricanent bêtement quand on dit « culotte ». Un peu comme des extra-terrestres qui ne seraient pas intéressants… ou plutôt comme un troupeau de vaches quand on habite à la campagne. Je m’explique.

Bien sûr, les citadins qui viennent en vacances trouvent ça vachement « gros », « moches », « effrayants » ou « étranges, c’est vraiment de ses robinets mous que sort le lait en brique ? ». Mais le gens de la campagne appelle ça des pis, il trouve juste que ça pue un peu et que c’est chiant quand ça s’échappe du pré et que ca reste avec son « gros » cul « moche » au milieu de la route avec dans le regard une lueur apathiquement « effrayante », et le gens de la campagne klaxonne et se jure d’appeler le vieux Jeannot pour lui apprendre à surveiller ses bêtes. Parce qu’à la campagne, les animaux s’appellent des « bêtes ». Ce qui nous fait donc revenir aux garçons.

De la même manière qu’on attire les taureaux en agitant des draps rouges, « mon amoureuse » qui l’était encore moins qu’avant (et moi aussi en passant) agitait ses culottes roses en relevant sa jupe en jean (qui a détrôné le kilt en matière de mode des années 80). Ce qui faisait ricaner bêtement les garçons. Et ce qui me faisait à nouveau un peu mal aux yeux (en plus, j’avais compris que les lunettes, c’était pratique mais « pas classe »).

Sa couette ridicule accrochée sur le côté de son crâne avec un hideux chouchou vert fluo, elle minaudait dans son pull jaune waïkiki et me suppliait pour que j’aille voir Fabien, Aurélien, Julien (les garçons de l’époque s’appelaient tous « …ien ») à la sortie des cours et leur demander « tu veux pas sortir avec ma copine ? ».

Moi, bêtasse, je m’exécutais docilement en me disant quand même que c’était une drôle d’idée de vouloir sortir alors qu’on était déjà dehors.

Elle m’a expliqué ensuite que sortir, ça voulait dire rouler des pelles. Je dus hausser les sourcils, je suis pas de la ville mais bon, je voyais mal mon amoureuse rouler avec ? Sur ? une pelle ?. « Ben, oui, les garçons ça sort qu’avec des filles qui roulent des pelles, sinon tu te prends un râteau ». Les sourcils avaient atteint la limite supérieure de mon front et menaçaient d’aller courir sur mon cuir chevelu.

« T’as jamais roulé de pelles ?? »

Hum… Je ne m’étendrai pas sur les détails, et non, mes premières expériences de jardinage amoureux ne feront pas l’objet d’un autre sujet, j’ai quand même ma dignité.

Après quelques succinctes explications, je commençais à la regarder autrement. Autrement, c’est-à-dire : beurk….

Qui aurait envie de fourrer sa langue dans la gueule d’une vache, hein ? Surtout quand la vache en question porte des bagues à chaque dent. Comme si elle avait bouffé le fil barbelé de sa clôture.

Bref, une fois que j’ai digéré ces informations (après les avoir ruminés un peu, reconnaissons qu’à l’adolescence, même les filles ont un côté bovin), j’ai décidé d’arrêter de dire « ma copine elle t’aime » docilement aux garçons qu’elle me désignait. J’avais découvert le pot aux roses, on me prenait pour une poire. J’allai pas me couper les cheveux en quatre avec un sécateur, ça m’aurait rendu marteau de continuer à prendre des râteaux à sa place et de tenir la chandelle, apathique comme une grosse légume et rouge comme une pivoine, pendant qu’un apprenti jardinier cherchait à distribuer sa petite graine.

J’ai ramené ma fraise, elle a trouvé une autre courge pour aller au charbon et ça m’a enlevé une épine du pied.

« Mon amoureuse » ne l’était plus du tout. Et moi non plus. L’amour m’avait rendu aveugle, mais la fille m’avait tellement fait mal aux yeux que j’en avais recouvré la vue. Si ça, c’est pas de l’esprit de contradiction les gars, alors dites moi ce que c’est…

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