Raillerie, "différence" et message d'avertissement

Message d'avertissement : attention, cet article peut choquer les gens, les personnes handicapées, les personnes manquant d'humour, les personnes souffrant d'obésité, de cancer, de célibat, les conseillers clientèle d'établissements bancaires, les jeunes mères n'ayant pas d'autres revenus que les allocations, les fan de Jean de la Fontaine, mes parents, les rugbymen, les fans de Bridget Jones, les VRP, les Corines, les humoristes, les anti-humoristes, les femmes, les salopes, les travailleurs du sexe, les Suédois, les gens qui aiment les poupées, les propriétaires de poussettes roses, et les personnes souffrant du syndrôme d'Asperger ou leurs proches.

A mon sens, une bonne manière de respecter les gens "différents", c'est de parler d'eux comme on parle des autres gens, des gens "normaux". J'utilise ces termes intentionnellement, allez-y, faites moi des procès, mais lisez la suite quand même avant.

Comment est-ce que moi, je parle des gens ? Je raille, j'en fais des sujets de plaisanteries, je me targue d'être même drôle parfois, figurez-vous. En gros, je me moque. Et oui, ouh la la, que je suis mal élevée, je vous donne les coordonnées de mes parents en message privé si vous voulez leur faire des procès à eux aussi.

Je me moque des gens, je me moque du conseiller clientèle avec son costard cravate qui rentre le soir et s'ouvre une boîte de cassoulet devant sa télé, je me moque de la jeune mère qui n'a que des allocs comme revenu et qui va les claquer chez Jennifer, son marmot en poussette rose, avec ses talons aiguilles, je me moque de la célibataire endurcie qui regarde Le journal de Bridget Jones en boucle, je me moque des rugbymen dans les stades qui beuglent des "uuuuuuuuuuh" néanderthaliens quand y'a placage.

Comment voulez-vous faire une blague sans parler des gens? Certains ont essayé ils ont eu des problèmes en utilisant des animaux aux comportements humains, La Fontaine par exemple (hyper récurrent sur ce blog, décidément!). Mais franchement, c'était en quelle année? (1621-1695) Est-ce que ça a fait polémique sur internet? (huhuhu) Est-ce qu'on est encore obligé aujourd'hui d'utiliser ce genre d'artifice pour éviter les ennuis ?

Est-ce pour autant que je manque de respect à tous ces gens "différents" ou dans la norme (définition de "normaux", rappelons le) ? Est-ce que toutes les jeunes mamans sans emploi qui s'habillent chez Jennifer vont m'écrire pour me gronder? Peut-être... Ce serait marrant quand même! Et en plus, je ne vous parle pas la popularité du blog après.

J'ai remarqué que d'autres gens, "normaux" et "différents", font pareil que moi assez souvent. Je n'évoquerai pas Patrick Timsit et ses propos sur les personnes trisomiques qui lui ont valu un procès je crois bien (ah mince, j'ai évoqué), je pourrais parler des VRP et de leur chanson Corine (décidément, beaucoup de succès avec la trisomie 21, ça doit être considéré comme une blague facile) ou Ma femme a grossi, sur l'obésité. Ca fait rire ou pas, là n'est pas la question. La question serait plutôt : à quel moment est-ce de l'humour, à quel moment est-ce de l'irrespect?

Prenons la chanson Corine, par exemple. D'aucuns pourraient hurler d'effroi, appeler SOS Handicap, faire des procès. D'autres vont essayer de comprendre le message derrière. Message qui n'a pas de caractère irrespectueux, du moins pas pour moi. Il me semble que ça parle justement de l'hypocrisie face au handicap, du manque de tolérance, et de la cruauté envers les gens "différents".

Un autre exemple de gens qui font de l'humour avec un sujet pas drôle. Des gens "différents" oeuvrant pour une association qui fournit aux personnes handicapées des objets pour faciliter la vie autonome (le GIL, mais bon, c'est en suédois) qui ont mis en vente des poupées handicapées "à traiter comme de vrais débiles". C'était en Suède et ça a fait une belle grosse polémique. Ce qui est surtout intéressant, c'est la démarche ainsi justifiée par un prospectus de l'association (traduit par le Monde) : "Nous sommes des gens exactement comme les autres. Traitez-nous comme des personnes. Si vous avez un besoin profondément refoulé de devenir tout câlin avec quelqu'un souffrant d'une infirmité motrice cérébrale, vous pouvez acheter l'une de nos poupées."

Il me semble que le message est clair. Pourtant, ça choque, en Suède et partout ailleurs. On entend que "c'est limite" (limite? Moi, j'aurais dit "trash"), "les gens vont voir les poupées pour se moquer" (ont-ils vraiment attendu la poupée pour ça?) et autres "je ne crois pas que ça va plaire à mon enfant" (oui, vous l'avez reconnu, c'est la fille qui revient de Jennifer avec sa poussette rose, elle n'a pas bien compris que ce n'est pas vraiment un jouet, mais plutôt l'équivalent d'une pancarte avec un slogan dessus). 

Ainsi donc, la plaisanterie quelle qu'en soit l'auteur, l'humour, la blague, tout ça peut choquer. Mais au fait, qu'est-ce que l'humour? En vrac, c'est Bigard qui traite les femmes de salopes tout au long de ses sketchs avec tout le monde qui rigole. Desproges qui dit "Plus cancéreux que moi, tumeur !" et autres "Les imbéciles n’ont jamais de cancer. C’est scientifique" (il est mort du cancer, donc), et Jim Carrey qui fait parler ses fesses dans Ace Ventura. L'humour est une notion vague, c'est le moins qu'on puisse dire. Au moins aussi vague que celle d'irrespect.

D'après Stéphane Clerget, psychiatre et praticien dans le service de psychiatrie enfantine à l’hôpital de Cergy-Pontoise, auteur de plusieurs livres, "l'irrespect, c’est ce qui rabaisse l’autre, le nie dans ses droits, dans sa liberté". J'ai envie de vous demander: est-ce qu'une personne handicapée pourrait avoir aussi le droit d'être sujet à plaisanterie? Il me semble qu'on a beaucoup regardé Intouchables en France, et ailleurs. Ca vous a fait rire, non? Moi, ça m'a fait rire. Est-ce qu'une personne handicapée pourrait aussi avoir le droit d'avoir du sexe ? C'est la question d'un autre film sorti en 2012 Hasta la Vista qui a l'air très drôle aussi (d'ailleurs, si quelqu'un l'a, je suis preneuse!).

L'humour a un rôle cathartique. Il apprend les rudesses de la vie, il aide à dédramatiser et, d'après Freud, permet de libérer nos pulsions (dis camion, pouet pouet!). Pourquoi s'en priver? Bon, si vous pouviez toucher les seins de quelqu'un d'autre, en même temps...

Une dernière chose. Moi, je parle des gens. Qu'ils soient dans la norme (définition de la norme? Ouh la la, encore plus vague que la définition de l'humour) ou non. Si j'emploie le terme galvaudé et hypocrite de "différents" dans cet article, c'est uniquement une forme de réponse à FB. En fait, c'est vous qui utilisez ce terme de "différence". Moi, je parle des Aspergers comme des gens. Et oui, je me moque des gens.