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   Les Tribulations de                  Pierrette Bourge
12 avril 2013

Charlie de Vichy

L'autre soir, avec mon amie Miss K. Médecine Chinoise, nous étions tranquillement accoudées au comptoir de notre bar à vin préféré, devisant de la pluie et du beau temps des giboulées (mot à l'étymologie obscure qui viendrait peut-être de "gibler" signifiant "s'agiter").

Un homme est entré, gueule cassée et verbe haut. Il était tombé en panne à la sortie de l'autoroute et une gentille dame (je cite) "qu'avait pas peur dis donc" l'avait pris en stop et amené jusqu'à la banque. Pourquoi la banque ? Je ne sais pas, nous ne lui avons pas posé la question.

Il était bizarre, ce "Charlie de Vichy". Et ce n'était pas le fait qu'il nous appelle "jeunes filles". En deux mouvements de sa machoire prognate, il réussit à vider deux verres de rouge, nous raconter une partie de sa vie et nous demander nos diplômes.

Miss K. Médecine Chinoise, toute en honnêteté et candeur, lui répond "psychologie". Aïe aïe aïe. Ce qu'il ne nous avait pas encore raconté a été instantanément posé sur la table, emballé dans le papier gras du faux mystère avec des "je te le raconte pas mais j'ai fait patatipatata", et autres "je devrais peut-être pas vous le dire mais tant pis, je vous le dis quand même".

Ah, Charlie de Vichy. Ton passé de légionnaire ("mais fais pas cette tête, 9 campagnes, c'est rien"), ton tatouage sur le bras fait à Djibouti et l'autre pour ta mère, tes jours de cachot, ton numéro de matricule, tes démêlés avec la justice, et tes trois enfants que tu résumes par "le truc que j'ai fait de bien dans ma vie". Ton amour pour ta psychologue ("pas une psychiatre, hein, je suis pas un fou moi"), ton avenir (j'ai dit à ma femme : "tinquiète bébé, on a le mobilhome"), tes addictions ("ouais, je suis un ancien alcoolique moi" tout en vidant un énième verre).

legion

Ah, Charlie de Vichy. Tu sortais tout droit d'une chanson de Brel, et puis soudain, tu t'es transposé dans un morceau de Pigalle, avec ton refus gouailleur de payer tes verres alors que le gérant t'en avait offert un, ton bras d'honneur et ton rire gras, puis ta mauvaise conscience et tes supplications quand tu as compris qu'il ne te servirait plus.

Tu m'as fait de la peine, Charlie de Vichy, non pas pour le gérant qui a très bien géré la situation, mais pour toi. Pour toi et ta drôle de tête perdue, ton coeur pathétique et puéril, et tes traumatismes de vieux gosse dont on imagine l'enfance, balloté de foyer en foyer, puis la voie que tu as prise, la famille à la fois bourreau et tortionnaire que tu t'es choisie.

Tu m'as fait peur, Charlie de Vichy, avec tes explosions d'humeur, tes demi-mots qui ne cachaient rien, et ta violence imprévisible, qui nous ont fait jouer aux agents secrets pour éviter de te recroiser dans la nuit. .

Charlie de Vichy, jamais tu n'as dit du mal de la Légion, comme si tu devais la remercier de t'avoir créé à son image, brut, fier et incontrôlable sans muselière. Mais maintenant que tu es rentré à la niche, tu sembles chercher un maître pour échapper à cette liberté qui te pèse.

Pour tout dire, Charlie de Vichy, tu m'as un peu pourri ma soirée. Malgré monfou rire quand on essayait de te semer pour échapper à tes aveux sordides qui ne t'arrachent plus de larmes, je suis restéé hébétée et mal à l'aise après t'avoir lâché. Un peu coupable et soulagée. Je n'étais pas en mesure de t'offrir le réconfort dont tu as besoin.

Pour le prochain mec un peu pété que nous croisons, c'est décidé : Miss K. Médecine Chinoise a un diplôme d'expert-comptable. Ca devrait pas lui donner envie de s'épancher.

 

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