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   Les Tribulations de                  Pierrette Bourge
11 mars 2013

L'extension du temps ou comment une marche de 45 minutes s'est mystérieusement transformée en randonnée de six heures

Alors, pourquoi elle a dit "Man Vs Wild" dans son article d'hier alors qu'il ne s'agissait apparemment que d'une petite escapade dans les montagnes ? Oui, je sais, c'est incroyable, ce don de télépathie. On a tous un talent caché, et ça c'est le mien. Je lis dans vos pensées. Ca aurait pu être le pouvoir de compter les allumettes d'un seul coup d'oeil comme Rain Man, ou celui de deviner les chiffres gagnants du Loto, mais non, moi, c'est la télépathie. Bref.

C'est vrai qu'une rando, c'est pas la mort. Mais cette rando-là a failli mal finir. Pourquoi donc?

Parce que j'étais partie pour une petite ballade. 45 min, qu'ils disaient. Donc, j'ai pris mon sac à main, mon appareil photo, une banane et une petite brique de jus de pomme. Tranquille, quoi. Voire même prévoyante. Parce que 45 minutes, c'est de la rigolade.

Le soleil s'était libéré de son carcan brûmeux et le chemin, très escarpé, serpentait en suivant le gave déchainé. Plusieurs randonneurs, profitant du temps magnifique et de la douceur printanière, suivaient également le sentier pour la passerelle. Cette passerelle, c'est quelque chose. Elle a été construite en 1920 par des Italiens employés d'une scierie afin de permettre l'exploitation forestière du coin et elle surplombe le canyon à plus de 180 mètres de haut. Quand on la traverse, on la sent bouger, un peu comme un pont de singes. Parmi les randonneurs, il y avait un gamin avec ses parents. Quand il est arrivé au milieu de la passerelle, le petit s'est mis à sauter sur place. Cri hystérique de la mère, cramponnée au grillage de sécurité. On se serait cru dans Indiana Jones, c'était un peu flippant très rigolo.

 

DSCF9931

Arrivée à la passerelle d'Holzarte, j'aperçois un balisage rouge et blanc. "Trèèès bien, me dis-je, je suis donc sur un chemin balisé, probablement que ça fait une boucle."  (Je dois préciser que je ne suis pas une experte en orientation. J'ai quand même réussi à me perdre dans le village où j'ai grandi. Je suis une sorte de légende, voyez. La seule fille capable de se perdre dans un village qui n'a qu'une route. Là-bas, quand j'arrive, les gens se donnent des coups de coude en murmurant, goguenards, "c'est elle qui s'est perdue", et ils sortent des cartons en forme de panneaux de direction. Et j'exagère à peine...)

Je commence à grimper. Les autres randonneurs ont mystérieusement disparus. Ils sont peut-être tombés dans les Gorges. Mais ça ne m'inquiète pas plus que ça. Je suis un chemin balisé, je suis un chemin balisé, je suis un chemin balisé (je suis, du verbe suivre donc).

Le début du chemin est en pleine forêt. Je profite un peu de l'ombre pour étancher ma soif et calmer mes joues en feu. Je crois bien que j'ai pris un coup de soleil. Il est midi, je suis partie depuis environ 2 h 00. Je ne me pose aucune question, je marche. Et la montagne est belle.

Je longe les roches piquetées de jeunes fleurs sauvages. Je fais un bout de chemin avec des papillons bruns, noirs, jaunes ou lilas. Je rencontre un crapaud si mignon que j'ai failli l'embrasser au cas où, qui surveille une flaque grouillante de tétards surexités et d'oeufs bientôt éclos. Je me remplis du grondement vivifiant des torrents qui dévalent la montagne en flots bouillonants et éclaboussants. Je marche dans les traces des izards, et dans leurs crottes parfois. Je traverse un torrent sauvage qui s'est égaré et coupe le sentier. Je m'arrête un peu, les yeux et les jambes alanguis de tant de nature, et laisse mes vans trempées et boueuses sécher au soleil tandis que je baigne mes pieds à l'eau d'un des multiples torrents. Je suis partie depuis 4 h 30, et je n'ai aucune idée d'où je suis. Et la briquette de 20 cl de jus de pomme est terminée depuis longtemps.

DSCF9950

J'ai gardé à la main ma petite briquette vide. Je la remplis à l'eau d'un torrent. Au diable les analyses, les microbes, etc. Je préfère mourir de la dysenterie que de soif. Je reprends la marche. Et m'abreuve aux cascades. Et même je mange de la neige. Oui, je sais, c'est mal, c'est plein de bactéries, et puis ça va faire sauter l'émail de tes dents, et tout et tout. Mais encore une fois, j'étais surtout préoccupée par la déshydratation. Et je commençais à me dire que j'allais passer la nuit dans la montagne. Oui, bon, il n'était que 15 h 30, mais la nuit tombe vite parfois, et j'ai une légère tendance à l'éxagération dramatique. Et en plus, le paysage s'y prêtait bien.

A mesure que les muscles se faisaient durs et les lèvres sèches, montait la certitude de mourir seule sur le GRT11, et que mon cadavre ne soit découvert que dans plusieurs mois, les yeux mangés par les vautours qui tournoyaient au-dessus de ma tête, et que mon téléphone désespérément hors de réseau, ne serve même pas à pouvoir me localiser, et qu'est-ce qui m'a pris de partir toute seule, et de ne dire à personne exactement où j'allais, et est-ce qu'il y a vraiment des ours dans ce coin des Pyrénées, et les izards sont-ils vraiment herbivores ou, en cas de forte disette, sont-ils capables d'attaquer un humain, et en plus j'ai presque plus de gaz dans mon briquet, ça va pas être facile pour allumer un feu, mais en même temps, si j'allume un feu, vu comment tout est aride dans ce coin, je suis fichue d'embraser toute la montagne et je vais mourir rôtie comme Jeanne d'Arc, la sainteté en moins, et mince, j'aurais du finir mon bouquin avant de partir, maintenant il pourra jamais être publié même à titre posthume vu qu'il manque tout le dénouement, c'est raté pour la gloire et, oh, tiens une ferme, je vais pouvoir mendier un verre d'eau et ah, mince, elle est complètement abandonnée, peut-être je devrais rester ici au cas où, ça me ferait un abri pour la nuit...

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Et finalement, il y avait de plus en plus de maisons blanches accrochées à la montagne et qui, de loin, ressemblaient à de petits troupeaux de brebis dans leurs pâturages. J'ai doublé un vieux petit monsieur édenté et souriant qui m'a dit que le village de Larrau n'était plus qu'à 800 m. Une fois dans le village, j'ai pu constater que c'était la saison des congés annuels, des inventaires et du grand nettoyage de printemps, et que je devais rejoindre ma voiture (garée en contrebas à 2,5 km) si je voulais boire de l'eau potable. Mais rien ne compte plus désormais. Evanouie la perspective légèrement angoissante de dormir dans la montagne et de mourir dévorée par les bêtes sauvages.

Je suis arrivée à ma voiture après 6 h de marche, avec l'impression d'avoir survécu à une épreuve de Koh Lanta, et en même temps vaguement humiliée d'avoir cru affronter les éléments alors qu'en réalité, ce n'était qu'une randonnée.

 

 

 

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Commentaires
F
Heureusement que tu n'as pas bisouté le crapaud...car c'était moi :-)... tu aurai eu l'air fine...ou du moins l'air pure des Pyrénées...
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